Neuf mois dans un ventre, quel voyage !

Aujourd’hui, tout le monde s’agite, se bouscule mais moi je ne comprends pas ce qui se passe. Un autre me dit que c’est le grand jour et qu’on va devoir aller (courir) vite. Je ne sais toujours pas de quoi il parle. Je ne suis au courant de rien car je reste toujours seul. Mais on m’a dit d’aller vite alors puisque tout le monde s’élance, j’y vais aussi, j’accélère, je fonce. Et je vois au loin l’arrivée : elle est géante et belle. Je me précipite, je me donne à fond et je ne me pose plus aucune question. Nous étions des milliers et c’est moi qui ai gagné.

Je suis si timide que j’ai peur de cet antre qui m’accueille. Il fait bien chaud où je suis à présent et je m’y sens bien. Et il fait noir aussi mais tout seul je me sens bien. J’entends les autres qui râlent, je culpabilise. Ils crient car une avalanche les emporte. Peu à peu tout s’apaise et je n’entends plus rien. Le calme, enfin !

Au fur et à mesure des jours, j’entends plein de nouveaux bruits. Qu’est-ce que ça peut bien être ? Je n’en sais rien. De jour en jour, je sens que je deviens de plus en plus important mais peut-être n’est-ce qu’une impression. J’entends des voix, de plus en plus de nouvelles voix. Mais il y a un petit nombre de voix que je peux reconnaître, dont deux que j’entends tous les jours. Plus tard j’apprendrai que ce sont les voix de papa et maman. Et les autres celles de mes grands-parents, ma tante et ma marraine. De temps en temps je sens la chaleur d’un petit chaton contre moi, il est si gentil et il me protège.

Plus tard, j’ai encore changé, j’ai grandi. Il fait de plus en plus chaud et cela tout le temps sans exception. Papa et maman s’agitent aujourd’hui, je perçois plein de discussions autour de moi. Il y a de drôles de bruits et ces bruits deviennent de plus en plus forts, il y a même de la musique. Mes oreilles crient, ça va beaucoup trop fort ; mais ça reste tout le temps fort. D’habitude les bruits partent vite. Il y a plein d’agitation, je bouge beaucoup, ça secoue trop, je ne sais pas ce qui se passe.

Il y a plein de rires. Le temps me semble parfois long dans cet endroit mais ce n’est pas moi qui décide. Tout d’un coup, tout bascule mais le bruit s’atténue et je suis heureuse. Mais pas pour longtemps : les voix que je connais s’élèvent, crient, hurlent. J’ai peur car je ressens l’énervement autour de moi. On me secoue, j’ai mal. Les deux voix s’affrontent de plus en plus. Je préférais quand ces voix étaient douces. Il y a de plus en plus de chocs, je ne sais pas ce qui arrive. Je ne peux rien faire sauf bouger mais je n’ose pas, je suis pétrifié. Pendant les derniers mois, d’autres épisodes semblables se reproduiront.

A présent, je suis très grande, je n’ai plus beaucoup de place. Je sens que les gens autour de moi s’impatientent, il y a de l’agitation dans l’air, mais moi je ne vois pas pourquoi je devrais me dépêcher, je veux rester là où je suis. On ne peut quand même pas me forcer à partir ? Pourtant si ! Alors pour ne pas qu’on fasse ça, je sors à la date limite ; de toute façon je n’avais vraiment plus de place. Je bouge de plus en plus et alors tout bouge, je suis bousculée. Je ne comprendrais décidément jamais rien à ce qui se passe dans cet endroit. Je vois quelque chose d’inhabituel, je décide de m’y diriger. Tout s’accélère dès que j’y vais, j’avance sans aucun effort et il y a quelque chose d’éblouissant qui se rapproche, c’est le bout du tunnel. J’ai peur mais quelque chose me pousse vers l’avant. Je ne décide de rien, je ne peux même plus retourner en arrière… Trop tard !

Je suis né. Mais, pourquoi ?